Au revoir Europe ou... adieu ?

C'est moi qui parle ✎Denisa
(les photos sur ce blog sont d'Arthur)

Dans mon cœur, cet au revoir crée un tsunami sans que je sache trop dire pourquoi. Je pourrais être réaliste. Reconnaître que nos économies toucheront à leur fin un jour et que ce jour approche. Que le voyage avec deux ados est bien plus compliqué qu’avec des enfants petits. Que les conflits sont plus nombreux et que leur poids augmente avec la répétition. Qu’après tous les obstacles qui ont croisé notre chemin, nous sommes épuisés. Objectivement, est-il vraiment raisonnable de partir encore ? Et si on part, alors, ne vaut-il pas mieux pas profiter des mois qu'il nous restent sans se faire de soucis et s’efforcer à réaliser des projets ?

À l’intérieur comme à l’extérieur, tout est en mouvement. Avant d’acheter le billet du ferry, nous avons fait des provisions pour deux ans : des cahiers, des médicaments, des chaussures… On pense grand. Que dis-je, grand ? Royal ! En tout cas, les adieux à Sète sont majestueux. Notre cher ami Manuel nous apporte nos “derniers” pains au chocolat jusqu’au port. On les savoure ensemble, à l’intérieur de Tao, juste avant d’embarquer. Puis, on se donne rendez-vous à distance pour le départ. Manuel et Pierre, ils sont deux à s’installer au pied du phare pour accompagner de loin le départ de notre bateau. Avec les jumelles on les voit. Pendant un temps qui semble éternel, on se fait des signes, gesticule, se regarde... on se relie. Lentement, le bateau se met en mouvement et le phare devient plus petit. Où sont nos amis qui rétrécissent ? L’Europe qui nous a si longtemps accueillis se transforme en barre, puis en ligne, puis la mer prend le dessus. De l’autre côté, ce sera l’Afrique qui nous adoptera.

L’atmosphère familiale est différente. La première fois, nous étions excités, un peu inquiets, curieux de tout et de tous. Comment allait être le Maroc, l’Afrique ? Comment leurs habitants allaient nous accueillir ? Aujourd’hui, on sait. Les deux mois au Maroc nous ont fait grandir. Nous savons désormais que le goût du voyage nous unit, la découverte nous comble, l’exploration nous passionne. Et nous avons assez de place dans nos cœurs pour toutes les nouvelles personnes que nous allons trouver sur la route. Ce mode de vie nous enchante. On ne veut pas s’imaginer qu’il finira avant l’heure, avant qu’on ne soit prêt à passer à l'étape suivante. Pour le moment, c’est ça qu’on veut. Même si on va galérer.

Quand je regarde l’Europe disparaître, mes pensées font des montagnes russes dans ma tête. J’ai envie de prendre le temps pour découvrir chaque pays. Lentement. Vraiment comprendre. Me faire une place dans son cœur. Lui donner une vraie place dans mon cœur. Et des pays, il y en a beaucoup, rien qu’en Afrique ! Et l’Europe alors ? Mes parents, je les reverrai quand ? Et nos amis, ils se transformeront en écran vidéo à partir de maintenant ? Et nos affaires, éparpillées dans des cartons dans différentes maisons de nos amis… les pauvres… ça va faire long pour eux ! Auront-ils la patience d’attendre notre retour ? Quand ? Mais quel retour ? Un retour pour apporter nos affaires au Secours populaire pour libérer nos amis… avant de reprendre la route ? Ou pour les mettre dans un container et les faire envoyer à … je ne sais pas où, notre nouveau “chez nous” ? Ou peut-être que nous serions très contents de retrouver nos affaires, quand nous reviendrons dans six mois, sans un sous, sans travail et sans confiance, puisque dans nos yeux, notre grand Tour du monde n’aura jamais vu le jour ?

Mon cœur bascule entre la joie pleine d’espoir et la peur de ne pas être à la hauteur du rêve. C’est comme si nous avions définitivement décidé de jouer à la roulette russe, le tout pour le tout. Soit on réussira, soit on perdra tout. Mais je m’emballe, ce n’est pas si dramatique que ça. Du calme, ma fille ! Un peu de raison. Nous avons juste perdu une belle somme d’argent en faisant un aller-retour ferry en plus, mais à part ça, qu’est-ce qui a vraiment changé ? Nous avons envie de tenter le voyage et c’est ce que nous allons faire. À tout moment, nous pouvons faire demi-tour, revenir et nous réinstaller en France, en Europe, où nous voudrions. Nous l’avons déjà fait de nombreuses fois : à Paris, à Madrid, aux États-Unis, à Nice, en République tchèque, aux Pays-Bas… Et ça n’a jamais été un sujet à réflexion, on la juste fait et basta. On en est capable et on a l’habitude. Rien d’exceptionnel.

Mais pour moi, quelque chose est en train de changer. Nous sommes en chemin vers quelque chose de nouveau. C’est en lien avec notre rêve, avec qui nous sommes ou pourrions être, avec l’avenir de nos enfants, avec le vivre ensemble entre humains et avec la nature. Il y a un sens derrière tout ça, même si pour le moment, je n’ai pas les mots pour le saisir. Je suis excitée car je sens… combien ce moment est capital pour moi. Je le savoure. Un ferry. Ça pourrait être un tout petit pas sans importance, mais moi, j’ai envie de croire que c’est le pas qui fera la différence. Le pas qui nous fera passer du monde d’avant au monde d’après.

On verra bien le résultat. Ici et maintenant, je suis exactement là où je dois être. Et le bonheur, c'est ça. :-)